SKINHEAD

Les skinheads sont issus de la vague modernist. Dans un premier temps il s'agit de jeunes Londoniens qui se passionnent pour le Modern jazz. Dans les années 1963-1964, cet underground élitiste est devenu une vague de fond de premier plan dans la culture des adolescents et devient un enjeu commercial. Les faits divers consacrent les batailles rangées entre Mods et Rockers comme un mal générationnel, notamment lors des bagarres de Brighton qui amèneront nombre des jeunes en mal de sensations fortes vers ce mouvement, quitte à le standardiser.

Après 1967 beaucoup de Mods se tournent vers le flower power et le psychédélisme. Certains préservent le style originel et radicalisent leur look : ce sont les hard mods, ou encore heavy mods. Ils portent le costume cintré et le chapeau pork-pie pour danser, mais des vêtements de sport ou de travail pour traîner dans la rue (polo Fred Perry, chaussures Doc Martens noires ou rouges). Ils prennent le contre-pied de la mode branchée de l'époque (telle la vague psychédélique ou le mouvement hippie) et affichent fièrement leurs origines ouvrières (working class). Ces hard mods se crispent sur l'identité modernist de la période 1962-1966 : musique noire américaine (Soul), luxe italien (Dolce Vita), style urbain et moderne, scooters Vespa ou Lambretta.

Comme ils vivent dans les même banlieues et quartiers ouvriers, les hard mods fréquentent les rude boys, ou rudies, jeunes immigrés antillais, surtout jamaïcains, dont le look est proche et avec qui ils partagent le goût pour la musique noire américaine (soul, rythm'n'blues) et jamaïcaine (ska et rocksteady). Vers 1968, les hard mods et les rudies se confondent pour devenir les skinheads.

Certains prétendent qu'ils se sont tondus les cheveux pour se distinguer des hippies. Ou encore parce que nombre d'entre eux travaillaient en usine, porter les cheveux courts relevait d'une norme pour éviter les incidents au contact des machines. Plus probablement, il s'agit d'un moyen pour échapper à la police montée lors des émeutes. Il s'agit aussi d'une coupe de cheveux traditionnelle au sein du monde ouvrier. Le look skinhead se standardise vite : cheveux courts (tondus ou coupés courts, mais rarement rasés à blanc à cette époque), favoris, polo style Fred Perry, chemise style Ben Sherman, bretelles, blue jean style Levis 501 coupé court ou pantalon ajusté type Sta Press (rejet des pattes d'éléphant), chaussures Dr. Martens, rangers ou baskets, blouson style bombers jacket, harrington ou encore donkey jacket (manteau de docker), écharpe de son club de football préféré...

Le blouson harrington, porté par les mods, puis les skinheads et enfin les punks, n'est pas une marque mais un type de veste légère en toile de coton unie doublée de tissus à carreaux écossais (tartan). Le nom vient du héros de la série télévisée américaine Peyton Place, très populaire au début des années 1960, Mr Harrington, qui portait ce vêtement. Le look skinhead est donc un mélange de sportswear, de vêtements de travail et de surplus militaires. Mais le costume ajusté, héritage moderniste, est encore porté pour danser ou frimer en soirée. Ces adolescents et ces jeunes adultes s'approprient, comme ceux d'aujourd'hui, certaines marques devenant emblématiques : Fred Perry, Lonsdale, Ben Sherman, Everlast, ou encore Adidas

 

1969, les Skinheads popularisent le reggae

En 1969, un véritable raz-de-marée skinhead envahit le Royaume Uni. Cette contre-culture devient soudain très à la mode et unit les jeunes des quartiers ouvriers, tant blancs que noirs. Les skinheads écoutent de la soul, du rythm'n'blues (des labels Stax, Motown ou encore Chess records), du mod's beat (soul-rock britannique des Who et autres Kinks ou Small Faces), mais surtout du ska, du rocksteady et du reggae avec des artistes noirs venus des Caraïbes tels Simaryp, Laurel Aitken, Desmond Dekker et même les Skatalites, les Upsetters, Jimmy Cliff ou Bob Marley, les Wailers... Le reggae et le rocksteady, bien plus que le ska presque passé de mode en 1969, apparaissent comme le son skinhead par excellence. Pour les puristes, on parle alors , de reggae one drop ou encore de early reggae, un terme sera d'ailleurs donné au début des années 80 pour qualifier le son des années 69-71 : le skinhead reggae. Dans la tradition modernistes, les skinheads aiment danser. Ils rivalisent de pas de danse compliqués pour frimer lors des discoes, l'équivalent des boums françaises. Les chansons parlent de leur vie quotidienne : émeutes, difficultés de la condition ouvrière, problèmes de tous les jours, contestation sociale, mais aussi sexe, danse et football. Les principales maisons de disques éditrices de ska et de skinhead reggae au Royaume Uni sont Trojan Records, Pama Recordset Torpedo Records. Le logo Trojan (un casque de guerrier troyen) a été repris par la suite pour désigner les skinheads originels (spirit of 69). Les filles sont appelées skinhead girls plutôt que birds ou birdies (terme péjoratif équivalent du français "nana" ou "gonzesse").

Les skinheads constituent à la fois une mode vestimentaire liée à des goûts musicaux, mais aussi une véritable contre-culture de jeunes avec ses comportements types (frime, violence, danse) et son argot. Celui-ci est largement influencé par l'accent jamaïcain : ainsi brother devient bovver. Aggro désigne la baston. Les leaders du mouvement sont les boss skinheads.

Ces gangs de jeunes ont parfois un comportement violent et les hooligans adoptent vite le style vestimentaire des skinheads. Certains avancent que les skinheads sont issu du hooliganisme. C'est à la fois vrai et faux : les jeunes Britanniques des classes moyennes et populaires se comportent souvent en hooligans dans les stades de football, mais le hooliganisme est plus ancien que le style skinhead (il date du début du XXe siècle) et les codes vestimentaires des hooligans varient beaucoup avec les modes (la plupart des hooligans actuels n'ont absolument pas le look skinhead). L'abus d'alcool et de drogues diverses (surtout les amphétamines pour pouvoir danser toute la nuit, le LSD étant plutôt une mode de hippies) n'arrange rien à l'image des skinheads. La presse tabloïd peut dès lors stigmatiser les skinheads, comme elle l'avait fait auparavant pour les mods ou les rockers. C'est la nouvelle menace.

L'Union Jack
L'Union Jack

L'usage fréquent des couleurs nationales (Union Jack pour l'ensemble des Britanniques ou Saint Georges Cross pour les Anglais) par les skinheads de cette époque est abusivement interprété comme un glissement vers le nationalisme. En fait les jeunes Britanniques font souvent preuve d'un patriotisme cocardier tel qu'on peut le rencontrer dans les tribunes des stades de football. Il n'est généralement fondé sur aucun nationalisme au sens strict. Les mods auparavant arboraient les couleurs nationales pour le côté "pop art " et les punks par la suite feront de même par désespoir social et ironie. Notons aussi que les Britanniques pavoisent beaucoup plus fréquemment que les Français. Cette fierté d'appartenir à la nation britannique est même un élément unificateur pour les jeunes Britanniques blancs et les Antillais noirs venus de la Jamaïque ou de Sainte-Lucie (états du Commonwealth, dont les habitants sont assimilés aux Britanniques puisque sujets de la même reine). Ceci peut aussi s'appliquer aux Pakistanais, eux aussi ressortissants du Commonwealth.

Mais il est vrai que les skinheads de cette époque font preuve de méfiance à l'encontre, non pas des Noirs, mais des jeunes Indiens et Pakistanais, dont le style vestimentaire et les goûts musicaux les rapprochent des hippies. Certains organisent de véritable ratonnades à leur encontre : le paki bashing. Ceux-ci réagissent et fondent des gangs de skinhead scalpers. Cette opposition entre skinheads noirs et blancs d'une part et jeunes indo-pakistanais de l'autre n'a cependant jamais été une généralité lors de la première vague skinhead. C'est plutôt une réalité circonscrite à certains quartiers de Londres et surtout à certains gangs. Les archives d'époque montrent d'ailleurs de nombreux skinheads au type asiatique.

Cette première vague skinhead est donc avant tout une mode, un style musical et vestimentaire largement méconnus hors du Royaume-Uni. Il n'y a pratiquement pas de skinheads à cette époque en Europe continentale ou en Amérique du Nord. Seuls certains adolescents émigrés à cette époque en famille en Australie et au Canada exporteront le style hors Grande Bretagne. Tout au plus la mode vestimentaire skinhead a-t-elle eu quelques échos en mai 68. De manière amusante, dans le film "Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil" (1970), l'acteur Jean Yanne porte pendant quelques séquences une tenue inspirée par la mode skinhead : jean serré à revers, blouson ajusté de la même étoffe, rangers, cheveux plaqués et favoris. Pour la plupart des journalistes britanniques les skinheads ne sont qu'une nouvelle sorte de voyous incontrôlables (à l'époque la France a ses blousons noirs). Le mouvement n'est pas politisé.

Vers 1970 la vague skinhead s'essouffle. De nouvelles modes apparaissent : le style glam rock pour les jeunes blancs et le mouvement rastafari pour les noirs. Les skinheads authentiques, qui rejettent l'image de violence gratuite de beaucoup de hooligans qui leur colle à la peau, adoptent le style suedehead (crâne de velours): le look devient plus recherché, à la manière des mods, les cheveux repoussent.

Le mouvement skinhead originel n'a donc une durée de vie que de quelques mois, nombre des Hardmods le laisseront tomber de dégout dès que celui sera identifié par le plus gros journal britannique comme une entité à part du mouvement Mod, le 3 septembre 1969.

http://fr.wikipedia.org/wiki/SkinHeads#Des_Mods_aux_Skinheads

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